Les axes thématiques

L’objectif ce document est de présenter différents axes thématiques sur lesquels les États généraux invitent des chercheurs en sciences sociales à produire des données/une réflexion.

Pour chacune de ces thématiques (évidemment non exclusives les unes des autres), il sera intéressant de porter une attention égale tant aux démarches quantitatives qu’aux démarches qualitatives et, dans le meilleur des cas, à leur combinaison.
L’objectif étant de constituer un savoir général sur le monde de la bande dessinée et ses évolutions, l’objectif serait que chaque étude s’inscrivant dans les états généraux porte une attention à la situation actuelle de la bande dessinée tout en soulignant les dynamiques à l’œuvre (historicité et projection éventuelles).
De même, si les états généraux constituent une initiative française, toute enquête qui mettrait en perspective cet espace spécifique avec d’autres (et les relations entre eux) sera la bienvenue.

Ce document ne s’apparente pas tant à un cahier des charges qu’au recensement des différentes orientations possibles pour des enquêtes pensées comme complémentaires. Il a donc davantage pour objectif de susciter des vocations que d’établir un programme précis.

Sommaire

  1. Recensement et cartographie des auteurs de bande dessinée
  2. Le marché de la bande dessinée
  3. Les formations en bande dessinée
  4. La lecture de la bande dessinée
  5. Libraires et diffuseurs
  6. La question du numérique
  7. La place de la bande dessinée parmi les différents biens culturels
  8. De la collection au marché de l’art
  9. Les festivals
  10. La mobilisation des auteurs de bande dessinée

 

1. Recensement et cartographie des auteurs de bande dessinée :
combien sont-ils, que font-ils, de quoi vivent-ils ?

Une première enquête par questionnaire, croisant données qualitatives et quantitatives1, permettra de construire une connaissance aussi exhaustive que possible des situations des auteurs de bande dessinée. Cette enquête est une priorité, ses résultats permettant de nourrir chacun des autres axes évoqués ici.

Il sera possible d’aborder différentes questions2 :

  • Données objectives diverses : âge, sexe, nombre de personne(s) à charge,…
  • Les tâches réalisées : Recherches, scénario, story-board, dessin, mise en couleur, mais aussi scannage, cleaning des planches, lettrage, maquettage, promotion via les réseaux sociaux, nombre de participation à des dédicaces en librairie/en festival.
  • Les rémunérations : Fourchettes des rémunérations perçues et leur nature (forfait, avances, droits, autres), pour quelles tâches (scénario, dessin, mise en couleur, lettrage, maquettage) ; évolution de ces revenus au cours du temps (période à définir) ; part de ces revenus dans le revenu total. La part des revenus complémentaires et, si possible, une indication sur leur nature (conférence, stage, intervention en école, autre).
  • Les conditions de travail : Liste des albums publiés et les tâches réalisées (et dans l’idéal les langues de traduction), le temps de travail moyen, le nombre de week-ends travaillés moyen, le lieu de travail (chez soi, atelier de X personne(s), etc.), l’existence de travaux considérés comme alimentaires (en bande dessinée, dans un autre domaine, temps occupé par l’alimentaire, part dans les revenus).
  • La situation sociale : degré de couverture sociale (affilié/assujetti, cotisation retraite, protection par le régime du conjoint, etc.), formation professionnelle (utilisée ou non)3.
  • Le parcours : formation(s), date de première publication (en amateur ou en professionnel), passage éventuel par un fanzine et/ou site Internet amateur, dates des premières publications en amateur, en presse et en album, prix éventuels, adaptations audiovisuelles ou autres, accès à des subventions ou à des bourses d’aides à la création (lesquelles, combien de fois, pour quelle rémunération).

La constitution d’une telle base de données (dont le traitement et la restitution devront garantir l’anonymat des personnes ayant participé) devra permettre de dresser une sorte de « cartographie » du groupe professionnel des auteurs de bande dessinée.

Ceci amènera, de fait, à questionner ce que recouvre l’appellation d’« auteur de bande dessinée » (Est-ce une question d’affiliation ? Faut-il vivre de son travail ? Faire uniquement de la bande dessinée ? Avoir publié un ouvrage ? Plusieurs ? Etc.). Ainsi, dans un premier temps, la population visée par les questionnaires doit être aussi large que possible (et ne pas présupposer de statut d’amateur ou de professionnel par exemple). Au regard des données ainsi accumulées, il sera possible de définir ensuite des critères de définition des personnes pratiquant la bande dessinée.
Autrement dit, il semble préférable de définir après le recueil de données d’éventuelles « catégories » d’auteurs, issues de l’exploitation des résultats, plutôt que d’établir en amont des catégories pas forcément pertinentes.

Une série d’entretiens approfondis avec quelques auteurs représentatifs de plusieurs générations serait également du plus haut intérêt pour évaluer de manière qualitative les évolutions du métier au cours des dernières décennies.

Centrée sur les auteurs, la démarche de ce premier chantier pourrait évidemment être généralisée à d’autres acteurs de la chaine de la production de la bande dessinée (éditeur, libraire, mais aussi diffuseur, attaché de presse, imprimeur, etc.). Ainsi, la plupart des axes thématiques exposés ensuite invitent à la réalisation d’enquêtes quantitatives qui, sans prétendre à l’exhaustivité, permettraient de donner une idée suffisamment représentative des populations concernées.

2. Le marché de la bande dessinée :
un état de lieu de l’édition, des publications et des ventes

Quelques documents (rapports/dossiers) établissent des données sur la production et/ou la vente de bandes dessinées en France (cf. la bibliographie « quelques données quantitatives »). Ces différents travaux se basent sur des méthodologies différentes, et pourraient se compléter. Au-delà d’un premier travail de synthèse, il serait intéressant d’établir un état du marché de la bande dessinée francophone.

Un tel travail nécessitera, en amont, un recensement des éditeurs francophones de bande dessinée. Il inclura les éditeurs de livres comme les éditeurs de presse (prépublication et critique spécialisée). Celui-ci devra préciser :

  • le(s) lieu(x) d’implantation de ces éditeurs.
  • La taille des équipes éditoriales, le nombre de directeurs de collection.
  • Les tâches confiées à l’auteur (scan, maquette etc.).
  • Leur chiffre d’affaires et son évolution dans le temps.
  • Les liens éventuels entre ces maisons d’édition.
  • Le nombre de publications par an (nouvelles publications, réédition, intégrale), les tirages (annoncés et effectifs), les ventes (annoncées et effectives), l’évolution des mises en place et des retours, etc.
  • La présence dans différents salons.
  • Le type de publication (bande dessinée exclusivement ou présence dans d’autres registres éditoriaux).
  • Les autres activités : agence, audiovisuel, multimédia, librairie, galerie, etc.
  • Les échanges internationaux (volume et chiffre d’affaires des traductions d’albums étrangers en français ; nombre de titres de langue française traduits et en quelles langues).

Tout comme dans l’axe thématique 1, il est important que l’enquête soit aussi exhaustive que possible, sans présumer des statuts spécifiques des différents acteurs. Ainsi, une attention équivalente doit être apportée dans le recueil des données auprès des différents types de structures. Ceci permettrait d’apporter des précisions dans des appellations d’usage (comme « éditeur indépendant ») dont les définitions sont floues.
Ce recensement pourra être complété par des entretiens avec différents acteurs du monde de l’édition afin de donner à voir la pluralité des façons possibles dont les éditeurs peuvent considérer leur travail4, mais également de saisir comment ces différents acteurs peuvent coopérer, que ce soit dans la production d’ouvrage ou la constitution d’un réseau d’intérêt commun (section bande dessinée du syndicat nationale des éditeurs, syndicat national des éditeurs alternatifs).

3. Les formations en bande dessinée : qui forme à quoi ?

Les formations en bande dessinée ne sont pas récentes. Cependant, il semblerait que depuis quelques années leur nombre ait sensiblement augmenté. Un premier travail de recensement de ces formations est ainsi nécessaire afin de connaître avec précision les formations proposées. Ce travail devra porter attention aux différences dans les enseignements proposés :

  • les statuts (formation privée/publique, spécialisée en bande dessinée/généraliste, autres types de formations, ouverture sur différentes tâches ou clivage des professionnels) et le type de diplôme desservi (s’il y en a un)
  • les tarifs
  • le nombre (et statut) des enseignants
  • le contenu des enseignements : dessin pur, scénario, bande dessinée, illustration jeunesse, dessin animé, jeu vidéo, nouvelles images, etc.
  • la préparation aux réalités économiques, juridiques et sociales du métier (relations avec les éditeurs, contrats, protection sociale)
  • le nombre d’années d’études, le volume horaire et l’organisation des cours (horaire plein, cours du soir, etc.)
  • le nombre de personnes accueillies, le nombre de personnes diplômées et, le cas échéant, le nombre d’anciens étudiants ayant publié (dans les X années suivant la fin de la formation)
  • le type de recrutement (concours, dossier, critères de recrutement)
  • l’historicité de la formation

Ce travail devra faire l’objet d’un regard croisé avec les données recueillies dans le recensement des auteurs. Effectivement, il sera nécessaire de replacer les « parts de marché » de chacune de ces formations par rapport à la présence effective de ces écoles dans les cursus des auteurs. De même, il sera nécessaire de considérer des formations en Arts, non spécifiques à la bande dessinée, mais qui se retrouvent souvent dans les cursus de certains auteurs publiés. Il sera ainsi nécessaire de comprendre la présence de ces formations (un manque de formation en bande dessinée ? Une évolution de la production qui nécessite d’être compétent dans différents domaines ? Des raisons personnelles liées à la trajectoire des individus ?)

Au-delà de ces analyses très quantitatives, il sera possible d’apporter une connaissance supplémentaire sur les réalités de ces différentes formations. Outre des démarches mêlant quantitatif et qualitatif (comme le suivi de « cohortes » de jeunes étudiants pour suivre leurs parcours après la fin de la formation), il sera également intéressant de décrire finement les apprentissages quotidiens qui peuvent prendre place dans cette formation, ainsi que la construction progressive non seulement d’une connaissance, mais aussi d’un réseau d’acteurs (en cela, cette démarche pourra puiser tant dans la sociologie de l’éducation ou de la socialisation à l’école, que dans les analyses de réseaux).
Il serait également intéressant de réaliser des entretiens avec des auteurs “autodidactes” qui ne sont pas passés par des formations artistiques. Ceci permettrait de tester l’impact d’autres formes d’apprentissage et de manières de créer un réseau professionnel, sans donner une importance trop forte aux différentes formations. Ce sera également l’occasion d’insérer une mise en perspective historique en apportant des informations sur d’autres modèles d’apprentissage, comme celui du « studio ».

4. La lecture de la bande dessinée

Il existe en France une grande tradition des enquêtes sur les pratiques culturelles5. Ainsi, il est déjà possible d’évaluer l’importance de la lecture de la bande dessinée parmi les autres types de consommation de biens culturels. De même, il existe déjà des données sur les grandes caractéristiques démographiques et socio-professionnelles des lecteurs. Néanmoins, il est possible d’effectuer un focus sur la pratique de lecture de la bande dessinée afin d’apporter une plus grande finesse dans ces données.
Un tel focus permettrait par exemple de repérer et mesurer différents types de lectorats, tant en terme de nombre de livres lus que de genres appréciés. Il serait également intéressant de chercher à connaître les potentielles pratiques annexes à cette lecture de chacun de ces groupes (participation à des festivals, achat de produits dérivés, suivi des nouveautés, etc.)
Cela permettrait également d’apporter une connaissance précise sur les différents types de consommation (achat, prêt en bibliothèque, prêt privé), et notamment sur les réalités de l’impact des produits numériques (importance des abonnements numériques, sur quels types de plateformes, place du piratage, etc.).

Dans le prolongement de cet axe thématique, il serait intéressant de mieux décrire les différents réseaux de distribution de la bande dessinée. Il est donc possible de repérer deux autres axes thématiques concernant les réseaux physiques (axe 5) et numériques (axe 6) dont les résultats pourront être exploités conjointement.

5. Libraires et diffuseurs : qui vend et comment ?

Un premier travail consisterait à décrire les différents réseaux de ventes de bande dessinée : parts respectives des libraires spécialisés BD, des libraires généralistes de 1er et de 2nd niveau, des grandes surfaces spécialisées (types Fnac, Espace Culturel Leclerc, Cultura), des grandes surfaces alimentaires, mais aussi des libraires en ligne proposant des albums classiques (type Amazon) ou bien leur version numérique (Izneo, ComiXology). Il serait également pertinent de donner un aperçu des évolutions de l’importance respective de chacun, mais aussi de l’attitude de ces réseaux par rapport à la bande dessinée.

Sans pour autant connaître la part (et l’évolution de cette part) des librairies spécialisées dans ces ventes, il serait intéressant d’y apporter une attention spécifique. Il serait pour cela possible de partir des réseaux de ventes existants réunissant certaines de ces librairies spécialisées (ou des « syndicats de libraires spécialisés » le cas échéant).
Bien que ces échantillons ne soient pas représentatifs de l’ensemble des librairies, leur étude permettrait :

  • de montrer les divergences entre ces libraires, en termes régionaux notamment.
  • de souligner d’éventuelles similitudes (existence ou non de consignes sur les commandes, les retours, etc.).
  • de mesurer l’évolution de ces réseaux (en terme de ventes, de nouveautés reçues, de nombres de points de vente, etc.). Ce qui amènerait peut-être symétriquement à approcher l’évolution des librairies non rattachées à ces réseaux.

Au-delà du recueil de données qualitatives rendu plus facile par ces réseaux, il est possible d’envisager des entretiens avec différents libraires. Ceci permettrait d’avoir des indications plus précises sur les spécificités du métier de libraire en bande dessinée, et d’avoir des informations sur l’évolution des ventes lors de ces dernières années (parts respectives des nouveautés et du fond, accueil réservé aux nouveaux auteurs et aux nouvelles séries, etc.).
Ce travail devrait également permettre d’appréhender la part des biens « dérivés » vendus par ces libraires, mais également produits en partie sous leur impulsion (ex-libris, tirages de tête, etc.). Ainsi, il serait intéressant de comparer certains rôles que peut remplir le libraire spécialisé avec ceux des galeristes de bande dessinée.
D’une manière plus générale, ces entretiens avec des libraires permettront de voir les rôles potentiellement remplis par les libraires au sein des différents acteurs qui composent le milieu de la bande dessinée. Ces entretiens pourront pour cela intégrer la question des relations entretenues par les libraires avec certains auteurs, éditeurs, ou encore diffuseurs.
La diffusion constitue un secteur professionnel méconnu et peu étudié, malgré la part importante que cela représente dans le prix du livre et sa commercialisation. Il serait ainsi particulièrement intéressant de procéder à une enquête auprès des équipes de représentants. Cette thématique des diffuseurs serait évidemment à croiser avec d’autres. Par exemple, le marché de la bande dessinée (liens spécifiques avec les éditeurs selon le modèle économique de ces derniers) ou le numérique (impact de ces innovations sur la diffusion).

6. La question du numérique : mesurer l’impact des innovations technologiques

La production de bandes dessinées fait face à de multiples innovations liées au numérique. Ces outils pouvant impliquer de nouvelles manières de produire (démocratisation du matériel informatique et des instruments de réalisation et de communication, crowdfunding), diffuser (sites internet spécifiques, applications, autoédition, blogs, etc.) et consommer (ordinateur, smartphone, tablette, abonnement, piratage, etc.). Cette mutation nécessite une appropriation de la part des différents membres de la production de la bande dessinée et conduit à des changements importants dans les relations entre auteurs, éditeurs, libraires et lecteurs.
Outre un travail de quantification sur les ventes du marché du numérique, il serait pertinent de recueillir des données sur les différents coûts liés à la réalisation et mise en ligne de ces documents (évaluation du temps passé par les auteurs et/ou les éditeurs aux tâches de mise en ligne, mais aussi de correction, de mise en page, etc.).
Étant donné l’existence d’une diversité d’expériences dans le domaine, il sera possible d’observer et comparer les différents modèles économiques qui intègrent la dimension numérique. Une comparaison avec la situation aux États-Unis, en Corée et au Japon serait particulièrement éclairante sur les tendances qui se développeront dans le monde francophone.
Ces données quantitatives pourront être complétées par des entretiens avec les acteurs de ces innovations afin de comprendre comment ils intègrent des contraintes spécifiques à ces innovations dans leur travail, que ce soit dans les formats de production (construction des images, rapidité d’exécution) que de diffusion (résolution, couleur, etc.). Il sera ainsi particulièrement intéressant de se tourner vers des biens ayant connu des publications numériques et papier, afin de comprendre les difficultés (ou non) du passage d’un modèle à un autre et leur intérêt (en termes financiers, mais aussi de notoriété et de reconnaissance symbolique).

7. La place de la bande dessinée parmi les différents biens culturels

La bande dessinée est un bien culturel ayant connu de nombreuses évolutions. Une telle histoire de la bande dessinée a déjà été documentée dans différents travaux historiques. Ces derniers ont également souligné l’évolution du marché et des modèles productifs.
Il est déjà possible d’affirmer que les différentes thématiques présentées ici, si elles sont mises en application, permettront d’actualiser cette connaissance de la production et de la réception de la bande dessinée. Certains travaux ont cherché à tracer l’évolution du degré de « légitimité culturelle » de la bande dessinée. Il serait donc intéresser d’actualiser ces résultats, par exemple par une analyse de la place actuelle de la bande dessinée dans la presse, les médias, l’enseignement, etc.
Certains universitaires ont également pu questionner le statut de cette production spécifique : est-ce de l’art ? de l’artisanat ? etc. (cf. dans la bibliographie « Le groupe professionnel et la légitimité culturelle de la bande dessinée »). Ces travaux apportent souvent des résultats nuancés, notamment du fait de la pluralité des situations recouvertes par l’appellation « bande dessinée ».

Un point intéressant serait justement de partir de ce constat d’une grande diversité, pour chercher à préciser la place de la bande dessinée parmi les autres productions culturelles. Ainsi, il serait possible de questionner les impacts de certains domaines (art contemporain, jeu vidéo, roman, cinéma, télévision, nouvelles images, etc.) sur la bande dessinée, mais également à l’inverse l’impact de la bande dessinée sur ces domaines.
Outre une « analyse des contenus » de ces différentes œuvres/productions, il serait également possible de donner une dimension pratique à cette étude. Par exemple, il serait possible de mesurer et décrire les interventions d’un de ces domaines dans un événement initialement spécialisé sur un autre (comme par exemple une conférence sur les jeux vidéos dans un festival de bande dessinée, ou une exposition d’un auteur de bande dessinée dans un musée).

Au-delà de l’impact de la bande dessinée sur d’autres domaines artistiques ou culturels, il serait également envisageable d’interroger l’existence d’une spécificité française et/ou francophone de la bande dessinée. Il sera pour cela possible de s’appuyer sur des données issues de l’axe thématique 2 (« le marché de la bande dessinée »), complétées par des entretiens avec différents acteurs participant de cette internationalisation de la bande dessinée (que ce soit dans le sens de l’exportation ou de l’importation). L’objectif serait ainsi de relever tant les atouts que les faiblesses de la bande francophone sur la scène internationale, et l’évolution historique de ces atouts et faiblesses. Ce sera l’occasion de mettre en perspective les différents modèles de productions francophones avec ceux de biens culturels analogues, comme le comics ou la manga.

8. De la collection au marché de l’art :
évolutions d’un marché complémentaire de la bande dessinée

En tant que production culturelle, la bande dessinée peut faire l’objet de collections diverses (albums, premières éditions, produits dérivés, ex-libris, etc.). Parallèlement à ce premier marché relativement confidentiel se développe néanmoins un autre, beaucoup plus visible : un marché de « l’art de la bande dessinée ».
Ce constat peut s’analyser comme le résultat d’une « légitimation culturelle » telle qu’elle a été évoquée dans l’axe thématique précédent. Un premier travail consisterait donc à décrire. Avant d’en arriver à une telle conclusion, il sera néanmoins nécessaire de s’intéresser aux contradictions pratiques liées à ce passage d’un produit destiné à la reproduction à des produits originaux.

Ainsi, il sera nécessaire d’étudier la transformation progressive des dessins et planches nécessaires à la production de la bande dessinée en œuvres d’art à part entière et les différents acteurs de cette transformations (commissaire-priseur, galeriste, l’auteur lui-même, etc.). Plus encore, il s’agira de relever les différentes difficultés rencontrées dans cette transformation. Par exemple, il sera nécessaire de s’intéresser au statut « d’original » des planches ainsi qu’aux différentes catégories et critères d’évaluations qui ont progressivement été établis pour les évaluer.
L’enquête pourra alors également apporter un éclairage sur les relations que peuvent entretenir ces professionnels avec les auteurs. Il est possible que ces galeristes/commissaires-priseurs influencent la production de la bande dessinée. En effet, l’auteur peut anticiper les critères d’évaluation de ce milieu artistique lorsqu’il réalise sa bande dessinée (taille des originaux, sujets privilégiés, présence ou non des phylactères, etc.)
Ce travail de description du développement d’un marché de l’art de la bande dessinée devra également apporter un éclairage juridique sur les droits qui entourent la possession et la vente de ces biens artistiques, notamment dans le partage entre les différents auteurs (dessinateur, assistant, scénariste, coloriste)6, mais aussi dans le respect du « droit de suite ».

Une fois décrit ce développement d’un « art de la bande dessinée », il sera nécessaire de mesurer l’importance grâce, une fois encore, à un recensement. Il deviendra ainsi possible de chercher à comptabiliser les expositions consacrées à la bande dessinée. Il sera alors nécessaire de porter une attention aux différents entre ces différents événements (en terme de statut des structures d’accueil, de la spécialisation ou non dans la bande dessinée, du type de financements de l’événement, de budget, de durée, etc.)
Une seconde dimension de ce recensement serait un focus sur le marché spécifique à cet art, avec la production de données sur le chiffre d’affaire de ces ventes, et la répartition de celui-ci entre les différents acteurs qui y participent. Ceci permettra, en croisant ces données avec l’enquête issue de l’axe thématique 1, de mieux évaluer la place de ces revenus complémentaires éventuels pour certains auteurs.

9. Les festivals : lieux de rencontres, lieux de vente, lieux de travail

Comme dans les autres thématiques à explorer, il semble incontournable de réaliser un premier état des lieux des festivals existants. Il s’agirait ainsi de recenser les différents festivals et de les contacter afin d’obtenir certaines informations : statut du comité d’organisation, nombre de salariés et de bénévoles, ancienneté du festival, budget, part du budget rémunérant ou indemnisant les auteurs, part de subventions publiques dans le budget, fréquentation, durée du festival, prix de l’entrée, etc.
Ces données statutaires sur ces festivals devront être complétées par des informations davantage relatives aux missions (culturelles notamment) de l’événement : événement ponctuelle ou activités sur l’année, type d’activités proposées dans et en dehors de l’événement, rayonnement local des activités, etc.

Ceci permettrait de souligner l’existence éventuelle de différents « modèles » de festival, et de souligner les avantages comme les difficultés. Mais plus encore, ces enquêtes permettraient de comprendre l’importance de ces festivals pour les différents types d’acteurs qui les fréquentent. Pour cela, il serait possible de réaliser plusieurs campagnes d’entretiens :

  • Avec des éditeurs : notamment en vue d’avoir une connaissance plus précise des coûts liés à ces festivals et aux rentrées d’argent sur ces évènements. Cela permettrait également d’obtenir une connaissance plus fine des arbitrages auxquels ils font face dans la participation (ou non-participation) à différents évènements. Il sera nécessaire de porter une attention aux questions économiques (impact sur les ventes, réintégration ou non des invendus dans les stocks), mais également à l’importance de ces festivals pour les éditeurs (en terme de rencontres, de mise en lien, etc.)
  • Avec des auteurs : pour connaître la diversité des réalités des auteurs en festival (entre les festivals mais aussi au sein d’un même festival), selon le degré de leur prise en charge par l’éditeur et/ou les organisateurs de l’évènement. Tout comme pour les éditeurs, il sera nécessaire de chercher à comprendre l’importance de ces festivals pour les auteurs (temps consacré aux dédicaces, rendez-vous professionnels plus ou moins formalisés, démarchages d’éditeurs, réunions d’information entre auteurs, etc.)
  • Avec les organisateurs : afin d’obtenir des informations sur les objectifs et les moyens mis en place pour les remplir, ainsi que des informations sur les difficultés qu’ils peuvent rencontrer, notamment pour concilier les différentes missions éventuelles du festival (par exemple entre objectifs économiques et objectifs culturels ou pédagogiques). L’objectif sera de rendre visible ces potentielles contradictions et de montrer différentes manières d’y résoudre. Pour cela, il sera nécessaire de décrire le réseau de coopération dont peuvent bénéficier ces organisateurs (pouvant permettre une meilleure visibilité du festival dans le cas de journalistes, ou de diversifier les animations proposées grâce à un réseau d’auteurs motivés). Il sera donc nécessaire de comprendre comment se constitue et s’entretient ce réseau.

L’ensemble de ces entretiens permettrait de mesurer l’importance de ces festivals (ou de certains festivals) comme lieu de travail (que ce soit en terme de vente ou de promotion des albums, mais aussi de rencontres, d’information, de négociation, etc.). Il serait également intéressant de croiser ces informations avec des analyses spatiales (l’accès au festival et à ses différents lieux n’étant pas le même pour toutes les personnes). Une telle analyse serait d’autant plus pertinente qu’elle se baserait sur l’analyse d’observation en situation de ces festivals, avec un suivi de différentes personnes au cours de ces évènements.

De telles observations « ethnographiques » permettraient sans doute de montrer l’importance de certaines personnes/professions dans ces festivals (les attachés de presse ou les journalistes spécialisés par exemple qui sont davantage « visibles » durant ces évènements). Ces personnes dont l’influence n’est pas forcément perceptible de prime abord font néanmoins pleinement partie du fonctionnement du monde de la bande dessinée, et mériteraient que leurs rôles soient décrits.

10. La mobilisation des auteurs de bande dessinée : comprendre les échecs et les réussites

« Auteur de bande dessinée » peut être considéré comme un métier relativement récent. Mais ce métier ne semble pas constituer un « groupe professionnel ». En effet, il n’existe pas de frontière spécifique qui délimiterait ce groupe. Ainsi, « auteur de bande dessinée » est une catégorie sans existence légale, et qui peut recouvrir une diversité de réalités.
Malgré tout, cette catégorie est régulièrement convoquée pour réunir différentes personnes au sein de diverses mobilisations collectives. Parmi ces mobilisations, il est important de décrire l’évolution historique des groupements de défense des droits de cette catégorie. En effet, avant les groupes actuels, il a existé différentes formes de mobilisation, et ce depuis les années 1960. Il est même possible de repérer d’autres collectifs plus anciens dont les actions peuvent être comprises comme les prémisses des mobilisations des auteurs de bande dessinée (comme par exemple le Syndicat des dessinateurs de journaux pour enfants fondé en 1946).
Une lecture historique de ces différentes mobilisations permettra d’une part de relire les évolutions statutaires des auteurs de bande dessinée, mais surtout d’autre part de comprendre comment ces auteurs ont cherché à intervenir sur ce statut.

Il sera alors possible de repérer dans ces différentes mobilisations les facteurs qui ont favorisé ou au contraire ralenti l’élaboration d’un groupement professionnel avec des droits spécifiques. Une hypothèse pour comprendre tant ces réussites que ces échecs serait l’existence d’outils que les auteurs peuvent mobiliser afin de rendre comparables leurs situations pourtant très différentes.
Ainsi, les évènements récents de mobilisation des auteurs (dont justement la création des États généraux) peuvent se comprendre comme la tentative de création, par les auteurs, de données qui permettraient de se constituer en tant que groupe.

Il est ainsi particulièrement pertinent de suivre ces différentes initiatives d’auteurs afin de suivre le groupe professionnel en train de se construire et de se définir. Afin d’apporter une compréhension des éléments qui influent sur les réussites et échecs de ces mobilisations, il est envisageable de comparer ces évènements actuels avec d’autres mobilisations passées. Plus encore, il paraît intéressant d’apporter une dimension comparative supplémentaire grâce à une mise en perspective avec d’autres types de mobilisation à l’étranger.
Concrètement, outre un travail sur archives et des entretiens, l’actualité de cette mobilisation des auteurs permet la mise en place d’une démarche « ethnographique » de suivi de ces mobilisations collectives (observation en situation des réunions de travail, des restitutions, et de l’évaluation des missions de ces mouvements).


Notes :
1 : Il pourrait être intéressant de proposer une plateforme informatique en ligne pour remplir ces données. Néanmoins, la mise en place d’un tel système a également un coût important, et peut rebuter les personnes quant à la garantie de leur anonymat. Toujours est-il qu’un questionnaire avec des « choix multiples » potentiellement nombreux mais limité permet par la suite des traitements statistiques plus efficaces (notamment en sociologie grâce aux analyses des correspondances multiples).
2 : Outre les discussions entre différents membres des EGBD, ces questions s’inspirent également des documents de travail établis conjointement par le SNAC-BD et les Laboratoires rennais d’anthropologie et de sociologie (Las-Lares) dans l’objectif de mettre en place une enquête qui n’a jamais pu être réalisée (faute de financement).
3 : Les réponses peuvent être accompagnées d’un « ne sait pas », qui peut informer sur la connaissance et maitrise des informations techniques.
4 : Pour cela, l’échantillon devra être construit afin de rendre compte de manière représentative. Il peut pour cela se baser sur les données quantitatives issues du recensement des éditeurs.
5 : De ces grandes enquêtes nationales sont parfois réalisés des focus sur les pratiques liées à la bande dessinée (C. Evans, F. Gaudet, « La lecture de bandes dessinées », Culture Études, ministère de la culture et de la communication, juin 2012). Néanmoins, il semblerait pertinent, tout en s’inspirant de ces méthodologies existantes, de créer des enquêtes inédites, spécifiques à cette production.
6 : Les actes du 1er colloque de l’AdaBD relatent différentes discussions sur le sujet de la paternité des originaux, et de la répartition des revenus autres que la vente des albums entre les différents auteurs. Il expose notamment les différents textes juridiques mobilisables sur ces questions. Voir S. Cornuaud (dir.), « Sur la paternité de la planche. Débat » in Id., métier et statut de l’auteur de bande dessinée. Actes du colloque 30 novembre1er décembre 2002, Angoulême, AdaBD, 2004, p. 93-106. Ce document, disponible en ligne, s’intéresse d’ailleurs à de nombreuses autres thématiques intéressantes pour les états généraux, même si plusieurs ont connu depuis de fortes évolutions (http://www.adabd.com/documents/divers/ACTES01.pdf).

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