États Généraux du Livre, #auteursencolere et #payetonauteur
L’heure du bilan et des réorientations
pour les États Généraux de la Bande Dessinée
Au sortir des premier États Généraux du Livre, nous, fondateurs des États Généraux de la Bande Dessinée, nous sommes dits qu’il était temps d’expliquer où nous en étions et pourquoi nous nous investissons dans ces nouveaux États Généraux du Livre mais aussi dans les mobilisations sur les réseaux sociaux.
La « chaîne du livre » est la métaphore par laquelle on décrit l’imbrication des multiples maillons qui permettent de faire passer la création d’un auteur jusqu’au lecteur : éditeur, diffuseur, distributeur, libraire et tous les multiples intervenants et métiers du livre. Cette chaîne n’a de sens que si elle parvient à remplir son rôle : relier l’auteur et le lecteur. Pourtant, aujourd’hui, alors que le premier maillon, l’auteur, appelle au secours, il se sent bien seul. Le dernier maillon, le lecteur, est toujours choqué quand il découvre que toute la chaîne réussit à vivre de l’économie du livre sauf, bien trop souvent, le premier maillon.
Lorsque nous avons créé les États Généraux de la Bande Dessinée, c’était dans l’idée qu’il était impossible que les autres maillons de la chaîne du livre soient indifférents à la précarisation du premier. C’est pour cela que nous avons proposé un partenariat à tous les syndicats et organisations qui les représentent. Nous avons lancé en premier une enquête sociologique et économique sur les auteurs, avec l’idée d’agir ensuite de la même manière avec tous les autres maillons, car, dans une chaîne, tout est lié.
La situation des auteurs s’est révélée pire que nous l’avions imaginée. L’enquête a montré qu’en 2014, 53% des auteurs de BD professionnels avaient un revenu inférieur au SMIC annuel brut, 36% étaient même en-dessous du seuil de pauvreté. Si l’on ne prend en compte que les femmes, 67% étaient déjà sous le SMIC annuel brut et 50% sous le seuil de pauvreté. Avec une tendance à la baisse de ces revenus sur trois ans qui laissait à penser que tous les ans, 2% d’auteurs supplémentaires allaient descendre sous ces seuils… Ces chiffres ont fait beaucoup de bruit, et ont été relayés de la presse jusqu’au Parlement.
Quelles réactions ? Les pouvoirs publics ont montré immédiatement leur inquiétude et nous avons eu de nombreux rendez-vous avec les différents ministres et leurs services. Hélas, les EGBD ont connu 4 ministres de la Culture en 4 ans : chaque changement de gouvernement nous a fait redémarrer ce travail presque à zéro. Le seul soutien public concret nous a été apporté par une subvention de 1500 euros de la région Rhône-Alpes-Auvergne.Plusieurs festivals ont été dès le début d’un soutien précieux, à commencer par le festival d’Angoulême qui nous a permis de présenter notre session inaugurale dans d’excellentes conditions. La Cité internationale de la bande dessinée et de l’image a été aussi un partenaire solide dès le début, ce qui s’est conclu en 2017 par la signature d’une convention triennale et notre implication dans les Rencontres nationales de la Bande Dessinée.
Les sociétés d’auteurs, en partenariat depuis le début, ne se sont pas toutes montrées très attentives, mais semblent tout de même avoir tiré des conséquences de nos travaux. Nous remercions tout particulièrement la SCAM dont la subvention de 5 000 euros nous a permis de mener l’étude sur les auteurs. Nous avons donc mené tout notre travail sur 4 ans avec seulement 6 500 euros de subventions. Il aurait de toute façon été odieux de dépenser des fortunes pour dire que les auteurs manquaient d’argent.
Côté éditeurs, le SEA, Syndicat des éditeurs alternatifs, qui représente des petits acteurs économiques, a eu un contact suivi avec nous. En proposant en 2017 un contrat type beaucoup plus favorable aux auteurs, il a montré qu’il n’ignorait pas leur situation.
Qu’en a-t-il été du SNE, Syndicat National des Éditeurs, que nous avions invité dès le premier jour à nous accompagner ? Il faut bien admettre qu’à part faire acte de présence à nos sessions, il ne s’est pas du tout engagé. Le SNE ne s’est jamais positionné publiquement sur notre enquête, comme si la précarité des auteurs ne le concernait pas, et comme si cette précarité n’était pas la conséquence, en partie, des pratiques des principaux éditeurs. Certains éditeurs nous ont même vertement signifié que ce que nous faisions était mauvais pour la bande dessinée : nous étions en train de casser la machine à rêves. Il est plus facile d’accuser le porteur de mauvaises nouvelles que d’assumer sa part de responsabilité.
Même si de nombreux libraires se sont émus publiquement des résultats de l’enquête auteurs, leur syndicat a brillé lui aussi par son silence.
Enfin, alors que la presse généraliste s’est bien fait dans l’ensemble le relais de nos travaux, force est d’avouer que la presse spécialisée BD ne s’est pas sentie très concernée. Des esprits chagrins pourraient penser qu’elle s’est alignée sur la position des grands éditeurs qui la financent par la publicité. Nous craignons surtout qu’elle aussi préfère vendre du rêve plutôt que de la misère.
Finalement, il faut bien l’admettre : notre idée de réunir toute la chaîne du livre autour de la table pour réfléchir ensemble à nos problèmes a conduit à un échec. Cette chaîne n’est pas une chaîne de solidarité. C’est une chaîne où chacun des maillons veut tirer la chaîne à lui. Et où l’auteur, pour de multiples raisons, est devenu le maillon faible. Le plus étonnant est de voir tout le monde continuer son petit commerce comme si de rien n’était depuis les résultats de l’étude auteurs. Comme si une chaîne qui commence par un maillon très affaibli ne risquait pas de lâcher du jour au lendemain, entraînant tous les autres maillons dans l’abîme. Comme si ça n’était pas déjà arrivé pour d’autres arts ou pour d’autres pays.
C’est face à ce constat d’échec que nous avons abandonné l’idée de mener les études sur les autres maillons de la chaîne du livre. Nous allions passer déjà trop d’heures à nous battre ne serait-ce que pour obtenir une participation réelle et sincère à ces études. Les 1 500 auteurs qui avaient répondu à l’enquête qui les concernait l’avaient fait en toute transparence, mais nous avons vite compris au fil de nos discussion que tous les autres maillons n’avaient pas très envie qu’on regarde de trop près les flux financiers ou la situation de leurs employés…
C’est face à ce constat que nous avons finalement dû accepter de n’être que les porte-paroles des difficultés socio-économiques des auteurs, et non les médiateurs que nous avions proposé d’être. L’étude auteurs des EGBD a eu un impact énorme sur la profession, mais nous avions sans doute surestimé nos capacités comme la solidarité dans la chaîne du livre.
C’est aussi face à ce constat que nous avons rejoint l’organisation des États Généraux du Livre dès le début. Déjà parce qu’une bonne partie des problèmes de auteurs de Bande Dessinée sont les mêmes que ceux de tous les auteurs du livre.
Nous avons aussi rejoint ces États Généraux du Livre tout simplement parce que ce sont les EGBD qui ont servi de modèle aux autres organisations d’auteurs pour monter ces « super » états généraux. Elles avaient toutes envie de faire entendre aussi fortement leurs problèmes. Nous avons apporté notre expertise sociologique, institutionnelle et en communication. Nous avons aussi apporté notre expérience, et l’ensemble des désillusions qui allaient avec.
Ensemble, et forts de l’expérience de toutes les organisations qui ont été à l’initiative de ces États Généraux du Livre, nous avons dû admettre que le temps de la diplomatie courtoise était révolu. L’indifférence des pouvoirs publics, comme d’une bonne partie de la chaîne du livre, aux problèmes des auteurs nous oblige à hausser le ton.
Cela ne changera rien à notre détermination. Les fondateurs des EGBD sont plus actifs et vigilants que jamais. Mais cette fois, au lieu de tenter de mettre en place une collaboration verticale dans la chaîne de la BD, nous avons décidé aussi de faire un front horizontal avec tous les auteurs du livre. Ensemble, nous les modérés, nous les diplomates, nous avons fini par prendre comme signe de ralliement un hashtag qui dit tout de ce changement : #auteursencolere
Il faut dire que le ton s’était déjà durci sur les réseaux sociaux avec #payetonauteur, né spontanément en découvrant que le salon Livre Paris ne payait pas tous les auteurs en intervention. Qu’un salon organisé par le SNE n’adopte pas la règle commune qu’essaye de mettre en place le CNL (Centre National du Livre) sur le modèle des tarifs de La Charte a été considéré comme un vrai mépris des éditeurs pour les auteurs. Une erreur heureusement réparée après une campagne impressionnante. Après un round contre la même absence de paiement des auteurs par l’UNESCO lors de sa Journée du livre et du droit d’auteur, #payetonauteur s’est à nouveau embrasé en apprenant la tenue de malheureux « États Généraux » bis voulus par l’État la veille de ceux organisés par les auteurs (en fait consacrés surtout à la francophonie et depuis théoriquement renommés « assises »).
La première session des États Généraux du Livre s’est donc tenue à la Maison de la Poésie ce mardi 22 mai 2018. Elle a été courtoise, malgré le dédain et les maladresses des pouvoirs publics sur les volets sociaux et fiscaux. La salle a été souvent atterrée en découvrant l’ampleur de la catastrophe en cours. L’amateurisme des autorités de tutelle et l’absence de concertation ont conduit à une situation désastreuse, 7 mois avant des changements majeurs dans la « protection » sociale et le régime fiscal des auteurs. Beaucoup de promesses de concertation ont été faites par les pouvoirs publics sous la pression de ces États Généraux. Espérons qu’elles seront suivies de faits et d’effets.
La seconde session des États Généraux du Livre sera consacrée en 2019 au partage de la valeur. La situation économique des auteurs se sera sans doute encore dégradée d’ici là. La colère sera probablement encore montée de quelques crans. La mobilisation de #payetonauteur et #auteursencolere aussi. Nous sommes à la croisée des chemins. Il est urgent que toute la chaîne du livre comprenne enfin que les problèmes des auteurs sont ses problèmes.
Benoît Peeters, président,
Denis Bajram, secrétaire
Valérie Mangin, trésorière
Télécharger ce communiqué en PDF :